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Médecin généraliste, Louis Ferrant s'est toujours efforcé de faire évoluer sa pratique, que ce soit d’un point de vue personnel ou collectif. Tout au long de sa carrière marquée par un engagement social (entre autres à Cultures&Santé), il n’a cessé de viser un objectif : amener politiques, acteurs institutionnels et personnes du monde académique à porter leur attention sur les déterminants sociaux et culturels qui influencent la santé des habitants des quartiers défavorisés. L’anniversaire de Cultures&Santé est l’occasion d’évoquer son histoire personnelle et d’obtenir son point de vue sur les 4 décennies d’activité de l’association.

Quels sont les éléments marquants de votre parcours dédié à la santé ?

En 1977, j’ai entamé ma pratique médicale à la maison médicale Medikuregem à Anderlecht. Depuis 1987, je suis chargé de cours au Département de médecine familiale de l'Université d'Anvers. J’y suis responsable de tout ce qui a trait à l’interculturalité dans le champ de la santé. Tout en soutenant Cultures&Santé, j’ai aidé à constituer une association néerlandophone ayant un objet social analogue. En 2000, j’ai lancé, toujours à Anderlecht, la Maison des familles, une structure accueillant futurs parents et parents d’enfants de 0 à 8 ans.

Comment votre route a-t-elle croisé celle de Cultures&Santé ?

Au sortir de mes études, tout anversois que j’étais, je voulais travailler dans un quartier dit « ouvrier » à Bruxelles. J’ai donc entamé ma pratique dans le quartier Cureghem où il manquait de médecin généraliste. La multiculturalité de plus en plus présente dans le quartier m’a amené à m’intéresser à cette dimension. En 1978, à l’occasion d’un congrès organisé par le MRAX sur la santé des travailleurs et le racisme, j’ai rencontré des membres du Comité (futur Cultures&Santé). Ils m’ont demandé de rejoindre le conseil d’administration que je n’ai quitté qu’à la fin des années 2000. Aujourd’hui, 40 ans plus tard, je suis toujours membre de l’assemblée générale.

Que faisait à ses origines l’association, nommée alors Comité socio-médical pour la santé des immigrés ?

Dans les premières années d’activités, nous nous sommes fortement appuyés sur l’expérience du Groupe d’étude pour une réforme de la médecine. Nous avons organisé plusieurs journées d’études avec lui. Le centre de documentation créé a aussi été un pôle important. Puis, en collaboration avec Vie féminine, s’est installée l’idée de former des médiatrices interculturelles. Mais, pour moi, le Comité nous permettait surtout de nous réunir et de nous soutenir mutuellement pour continuer à améliorer la qualité des soins en contexte multiculturel. Notre organisation essayait aussi de faire passer des messages aux instances politiques à propos des problèmes qui touchaient les personnes immigrées.

Quel développement pouvez-vous souligner dans l’organisation de l’asbl ?

Dans les années 1980, il y avait un noyau de 3 travailleuses permanentes. Puis, le rapprochement avec la Fédération des maisons médicales a permis d’agrandir l’équipe. L’association a connu un véritable essor à ce moment-là. Aujourd’hui, je suis frappé par l’étendue et la qualité de l’équipe. Ce qui y est produit et publié me paraît invraisemblable. Une autre évolution sensible a été celle de l’objet social qui était à mon sens inévitable. Le fait d’avoir abandonné la référence aux personnes immigrées pour viser une plus large population marquée par les inégalités n’a certainement pas été un désaveu du passé. En effet, la culture a parfois raison de certaines formes de précarité. Et c’est d’ailleurs souvent le niveau de précarité qui détermine l’ampleur des différences culturelles.

Selon vous, est-ce que le bilan de Cultures&Santé est positif après 40 ans d’action en faveur de la santé ?

En ce qui me concerne, le bilan est positif même s’il y a eu des hauts et des bas, des changements de noms et d’adresses. Sur le plan personnel, j’ai découvert, grâce à Cultures&Santé, l’importance de la communication interculturelle – je fais d’ailleurs toujours appel à une médiatrice lors de mes consultations. Les apports que j’y ai puisés m’ont aussi aidé à créer la Maison des familles et à mettre en place un cours obligatoire sur les cultures dans le cursus de médecine de l’Université d’Anvers. Sur un plan plus collectif, je dirais que la structure est passée de l’idéalisme au professionnalisme. Désormais, quand je parle de Cultures&Santé, et ce, même dans les milieux flamands, j’entends une appréciation positive qui me fait plaisir. C’est aussi un lieu de référence que je recommande toujours à mes étudiants quand ils font des recherches sur un sujet mettant en lien santé, précarité et cultures.

Quels défis se dressent devant Cultures&santé ?

Cultures&Santé doit se préparer à être confrontée à toujours plus de diversité mais aussi à une précarité croissante surtout dans les grandes villes. Dès lors, comment être à l’écoute des personnes qui naissent dans la précarité ? Comment répondre à leurs besoins ? Mais aussi, comment peut-on influencer le politique ? On sent que le monde politique n’est pas complètement convaincu par le fait qu’en combattant la précarité, on sauvegarde l’avenir. Cultures&Santé pourrait être une source d’inspiration concernant des moyens à mettre en œuvre. Je pense qu’elle peut jouer un rôle dans la mise en place de plans d’action politiques se basant sur les principes de la promotion de la santé.

Pourriez-vous définir Cultures&Santé en un seul mot ?

Couleur. Cultures&Santé a apporté de la couleur dans ma vie. C’est coloré dans ses publications, très imaginatives, et dans le public visé.

Que souhaitez-vous à Cultures&santé ?

Je souhaite à Cultures&Santé de continuer sur sa lancée mais aussi de trouver un troisième souffle c’est-à-dire d’être innovant, de proposer de nouvelles stratégies sur lesquelles des acteurs de tout champ pourraient s’appuyer. Je lui souhaite également de rester proche des gens et plus en lien avec les médias.

 

Propos recueillis le 7 février 2018 à Bruxelles