Nous sommes tous migrants

Pour Jean-Claude Métraux, on migre à la fois dans l’espace et dans le temps, la transition entre certaines phases de la vie peut tout autant constituer une migration que le passage d’un territoire à un autre. Tout le monde dès lors est sujet à la migration, à ses étapes et peu ou prou à ses souffrances. La migration serait alors ce passage d’un monde à un autre. Son accomplissement implique non seulement le fait de vivre dans un autre monde (partager une nouvelle unité spatio-temporelle) mais aussi d’être de cet autre monde (partager un sens commun, une appartenance commune).

L’intégration créatrice

Pour pouvoir être de cet autre monde, un mouvement d’intégration créatrice est à privilégier car il permet à celui qui migre de rester soi-même tout en devenant autre, de se créer un futur sur un terreau d’histoire. L’intégration créatrice implique la reconnaissance de l’apport respectif des deux mondes. Elle constitue un effort bilatéral, de co-création. L’hospitalité de la société d’accueil devient donc une condition nécessaire à la réussite de cet enlacement d’appartenances.

Le modèle des déficits

Le livre se penche aussi sur la manière dont celui venu d’ailleurs a été considéré à travers l’histoire. Il a fallu un certain temps pour arriver à une approche de reconnaissance mutuelle. De l’orientalisme, aux discours nationalistes, en passant par l’hygiénisme, « l’immigré » est tour à tour vu comme un autre fantasmé, dangereux, menaçant, porteur de maladies exotiques… La connaissance de l’étranger (« objet » de recherche) est mise au service de sa domination

C’est le modèle des déficits qui a longtemps prévalu : toute problématique liée aux migrants s’interprète en termes de déficit vis-à-vis de la norme autochtone et toute thérapeutique se fonde sur la présupposition d’un déficit à combler.

Selon Jean-Claude Métraux, alors que ce modèle des déficits avait laissé place au multiculturalisme des années 1970 (tolérance aux cultures étrangères), le dévoiement actuel du concept d’interculturalité (qui ne serait qu’un cheval de Troie) le fait revenir à l’avant-plan. Le savoir consacré du dominant prend encore et toujours le dessus sur la construction du lien et une relation asymétrique où l’information s’envisage à sens unique ne s’installe que trop souvent.

L’échange de paroles précieuses et la reconnaissance

La dernière partie du livre porte sur la façon dont on peut créer un échange plus égalitaire entre le praticien et le migrant. Le premier pas à franchir est la réhabilitation de la sphère du don. Ce don a pour fonction la co-construction et l’entretien du lien social. Le professionnel peut dès lors faire un don de paroles précieuses ; paroles que l’auteur distingue des paroles monnaies (paroles utilitaristes sans valeur émotionnelle) ou sacrées (paroles échangées exclusivement dans la sphère intime, familiale). Même si ce n’est pas toujours aisé, le praticien peut, par le don de paroles précieuses, rééquilibrer la relation. Concrètement, il peut exprimer sa reconnaissance, les sentiments qui le traversent, les valeurs qui le forgent mais aussi son impuissance ou son ignorance face à certaines questions ou situations.

L’absence de reconnaissance peut avoir des effets néfastes (maladies, dérèglements) chez des personnes souffrant d’injustice. Il faut donc nourrir cette reconnaissance. À la fin de l’ouvrage, l’auteur nous décrit le parcours qui mène à celle-ci. Déjouant ainsi les schémas classiques, on comprend que c’est à partir de la reconnaissance de l’Autre qu’on peut apprendre à le connaître et non l’inverse.

Pour conclure

Même si le propos de Jean-Claude Métraux est principalement basé sur la relation praticien-patient, son livre nous invite à une réflexion plus générale sur nos sociétés « d’accueil » et sur la manière dont on entre en relation avec l’Autre, notamment en tant que professionnel du social, de l’éducation ou de la culture.

  • Tout d’abord en réalisant que nous avons tous vécu des migrations, des ruptures, des deuils, nous avons la possibilité de faire un premier pas en relativisant cette altérité.
  • Un deuxième pas serait de reconnaître « le migrant », « l’immigré », « le précaire », « l’Autre » comme sujet et non comme objet de nos recherches, de nos projets, de ne pas le voir en tant que problématique, préoccupation avec des déficits à combler.
  • Enfin troisième et dernier pas, sûrement le plus difficile à franchir en tant que « professionnel », serait la création d’un lien égalitaire, équilibré basé sur l’échange, la réciprocité et la reconnaissance.

À l’heure où beaucoup pensent encore que l’on peut connaître l’Autre dans les livres, en accumulant des connaissances sur son histoire, sa culture, ses traditions… Jean-Claude Métraux nous rappelle qu’on parle avant tout de rencontres entre des êtres humains aux identités porteuses de sens et au tissu commun, de rencontres qui peuvent nous révéler l’extraordinaire potentiel des appartenances entremêlées…

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