Trois niveaux de précarité

C’est à partir de ce moment que Jean Furtos décide d’étudier ces « nouvelles pathologies » liées à la précarité sociale. Le psychiatre nous invite tout d’abord à distinguer trois niveaux de précarité :

  • La précarité ordinaire se définit comme tel : "je suis précaire parce que seul, je ne peux pas vivre". Ce modèle est celui du bébé, dont il faut s’occuper avec respect pour qu’il vive. La précarité ordinaire est normale et permet de créer la confiance en soi, en autrui et en l’avenir.
  • La précarité de la modernité naît au XVIIIe siècle. L’homme doit désormais trouver la vérité par soi-même et interpréter les grands récits. Il se trouve dans une situation de précarité par rapport aux certitudes. On se met à interpréter, on débat… Le lien social devient interactif ; l’individualisme, créatif.
  • La précarité actuelle, source d’auto-exclusion, est portée par le capitalisme financier mondial dont les effets sont en contradiction avec les Droits de l’Homme ou en sont indépendants. Ce qui a des effets psychiques et psychosociaux.

Ce dernier niveau est en lien avec un phénomène d’urgentification du monde (l’immédiateté se marque d’autant plus dans la précarité) et de perte des solidarités. La manière dont le monde est manager aujourd'hui a pour effet que les individus restent isolés, subissant seuls de fortes pressions.

Déficit des solidarités et pertes de confiance

Cette atomisation des individus a pour effet la perte de trois formes de confiance :

  • En soi : l’individu se dit qu’il ne vaut rien.
  • En autrui : l’autre est perçu comme dangereux, en témoigne les politiques sécuritaires… Certaines populations souffrent d’une forte stigmatisation, ce qui s’est déjà vu précédemment.
  • En l’avenir : alors qu’avoir la foi permet d’aller vers l’avenir sans peur, de faire les choses pour vivre, l’homme peut souffrir aujourd’hui d’un "trouble de la foi" et donc faire les choses pour ne pas mourir, ce qui est peu motivant.

Dans ce climat, s’instaure une peur généralisée de perte, symptomatique de la précarité. Contrairement aux pays pauvres qui ont le souci de l’avenir, nous sommes, dans notre société, dans la crainte de l’avenir car c’est une société sur laquelle on ne peut pas compter.

Réactions face à la menace

Il existe donc aujourd’hui une souffrance psychique qui est d’origine sociale. Lorsque l’individu est menacé dans ce monde précaire, trois réactions sont possibles, selon Furtos :

  • Le fait de se dire que l’on pourra compter sur l’aide de la famille, des amis, que l’on pourra se débrouiller, par exemple en trouvant un "petit job", est signe de santé mentale. Cela suppose l’existence de solidarités et le fait que l’individu se sente prêt à demander de l’aide.
  • Poussée à l’extrême, cette souffrance conduit à l’auto-exclusion. C’est un dysfonctionnement qui s’instaure pour des raisons psychiques. Dans certaines situations d’exclusion, l’individu ne trouve d’autre solution que de s’auto-exclure, s’auto-aliéner, d’abandonner une partie de sa liberté, pour survivre. Ce phénomène d’auto-exclusion est moderne, il découle de l’atomisation des individus, qui se considèrent dès lors comme des entités indépendantes du groupe social.

Celui qui ne se sent pas reconnu dans sa détresse sociale, produite par un environnement excluant, peut se sentir sur une autre planète.  Face à un découragement absolu, l’individu attend un encouragement et s’il ne trouve ce soutien, il peut finir par se couper du monde mais aussi de soi-même. Il est alors extrêmement difficile de "revenir".

Symptômes de l’auto-exclusion

Dans cette situation d’exclusion, des signes de disparition peuvent se manifester comme l’anesthésie du corps (les personnes ne sentent plus leur corps, ne ressentent plus la douleur), l’inhibition de la pensée et le fait d’émousser ses émotions. On peut relever que ce sont des réactions normales et saines en situation de stress. Mais dans le cas de l’auto-exclusion, ces symptômes s’installent de manière permanente. Parallèlement à ces signes de disparition, apparaissent des signes paradoxaux comme le fait que plus on aide une personne en situation d’auto-exclusion, plus elle va mal. La patience est donc indispensable dans une relation avec des personnes dans cette situation. L’individu ne parvient plus à demander l’aide dont il a besoin, ni même à accepter cette aide. Elle rompt tout lien social, puisqu’elle n’a plus confiance ni en elle, ni en autrui.

Autre symptôme majeur, l’incurie à domicile. Les personnes se négligent et négligent leur logement, accumulent sans plus pouvoir trier, jeter… Enfin, Furtos souligne que dans le syndrome d’auto-exclusion il y a une perte de la "bonne honte" qui évite que l’on fasse n’importe quoi de peur de ne plus pouvoir se regarder dans la glace.

Quelles solutions ?

Que faire face à quelqu’un qui présenterait ces symptômes ? Être proche, prononcer les mots justes et manifester du respect, quoi que fasse l’autre, quelle que soit la manière dont il se présente. Accepter les paradoxes, accepter les comportements qui paraissent destructeurs et continuer à entretenir la relation.
Enfin, Furtos souligne que ce phénomène psychique imputé à un fonctionnement économique et social excluant n’est pas à la marge de la société. En situation de crise, il se révèle en être au centre et doit pouvoir concerner tout le monde.

>> Conférence de l’auteur explicitant une partie du contenu du livre

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